La Sagesse Pémon

Pémon en langue Pémon veut dire Homme.

Les Pémons sont des amérindiens, de la famille linguistique caraïbe.

Ils habitent au sud-est de l’état Bolívar au Venezuela

et dans les régions limitrophes avec le Brésil et le Guyana

À propos

Les Pémons sont des amérindiens, de la famille linguistique caraïbe. Ils habitent au sud-est de l'état Bolívar au Venezuela et dans les régions limitrophes avec le Brésil et le Guyana. Aujourd'hui ils sont plus ou moins 35000 individus, alors que lors de notre arrivée dans les années 80, ils étaient très peu nombreux. Mais la présence de médecins et d'un hôpital a petit à petit diminué la mortalité materno-infantile.

On peut distinguer dans cette ethnie pémon trois principaux groupes : Kamarakoto au nord avec Kamarata comme communauté importante, Arekuna au nord-ouest avec Kavanayén comme point de référence important, et Taurépan au sud avec comme groupements importants Manakrü (à Santa Elena de Uairén), Maurak et Kumarakapai au bord du fleuve Yuruani.

Ayant vécu pendant dix ans, de 1978 à 1989, avec mon époux et mes enfants auprès des Pémons, j'ai pu, en observatrice participante, étudier leurs mythes et rites. Ces dix ans nous ont marqués profondément. De cette expérience sont nés des récits qui sont une reprise interprétative de leur tradition afin de rendre compte de leur sagesse symbolique. Dans ce travail d'écriture, j'ai cherché à rendre accessible et disponible au savoir universel, la richesse de cette sagesse. Car les réponses poétiques des récits pémons aux questions fondamentales que l'homme se pose, permettent une meilleure compréhension de ce qu'est la condition humaine. Dans cette Sagesse religieuse, l'acte de raconter correspond à l'acte de penser, comme étant une première réflexion. Le récit comme organon philosophique a été admirablement étudié par le philosophe français Paul Ricœur. c'est ainsi que leurs récits traduits dans d'autres récits, permettent d'expliquer et de comprendre leur vision du monde. Car l'unique raison humaine a un double mode de fonctionner.

Le monde pémon est un espace et un temps mythique. Ce peuple éminemment religieux a pu donner l'impression contraire aux premiers visiteurs anthropologues et missionnaires. La transcendance se vit par rapport à un Temps Premier qui échappe au temps chronologique et à l'espace matériel, mais non pas à leur monde symbolique. Cela donne une immatérialité originale à la religion de ce peuple. Avant les années 1928-1930 et la venue des premiers Blancs et surtout celle des Missionnaires Capucins, des observateurs comme les frères Schomburgk ou l'ethnologue allemand Koch-Grünberg, ont pu conclure à l'absence de religion chez ce peuple qui n'a pas de dieux, ni de Dieu, pas de totems, pas de temple, pas de prêtre. Leur sacré est tout entier condensé dans les mythes et les rites qui animent la vie quotidienne.

Le récit mythique apparaît comme une instance originaire antérieure à toute conception de Dieu ou des dieux. Voici le témoignage d'un voyageur qui séjourna seulement quelques semaines parmi les Pémon au début du XXè siècle : « Ces Indiens “se nourrissent principalement de pain de manioc et de piment, ils emploient le tabac, pour chasser ils utilisent des flèches empoisonnées et pour pêcher ils empoisonnent les fleuves avec du barbasco (racines vénéneuses broyées et plongées dans les eaux de la rivière) ils construisent des maisons à moitié provisoires, et ils dorment dans des hamacs ; ils ne s'habillent pas sinon d'un simple tablier tressé avec des palmes; ils pratiquent la couvade pour la naissance des enfants et leur système religieux est pauvre, de l'animisme et des exorcismes, pas de prêtres ni de dieu ; ils confectionnent des objets de poterie, voyagent dans des pirogues, cultivent et tissent le coton pour faire de la vannerie » .

Et quelques paroles des missionnaires : « Lorsque dans un premier contact superficiel, on se trouve avec le vécu quotidien pémon, à partir de sa propre plate-forme culturelle, on est tenté de dire qu'ils n'ont pas de religion (…). Mais dès que l'on vit avec eux, toute leur vie, même les situations les plus banales, sont marquées par leurs croyances religieuses (…). La religion imprègne toute leur culture et lui donne sa consistance » .

Regardons de plus près le mythe fondateur qui traverse toute leur conception du monde : En ce Temps-Là, toutes les choses du Monde étaient comme des Hommes. Il s'agit de deux notions fondamentales : Pia Daktay, le Temps Premier et Séréwaré-Maintenant. Ce mythe fondateur est décliné dans tous les récits pémons comme ce qui donne le sens à la vie, à la mort, au passé, au présent et à l'avenir. Il a vraiment une fonction d'instauration, de fondation.

Pata Pémonton, la Terre des Hommes, le pays des Pémon, est un lieu symboliquement situé dans un Monde-Temps dont les deux colonnes mythiques sont Pia Daktay, le Temps Premier et Séréwaré, Maintenant (l'aujourd'hui, l'ici et maintenant). Pémon veut dire Homme. Pata veut dire lieu habité. Pia veut dire racine, autorité, ancêtre. Un Monde-Temps. Il s'agit d'une vision du monde qu'ils habitent gouvernée par le souvenir d'un Temps-Pia rendu présent dans l'EKARÉ, le récit raconté et ré-cité dans et par tout le vécu pémon. La Waïpa, la grande maison commune du village, symbolise ce Monde-Temps. Sa structure circulaire, ovale ou ronde, s'appuie sur deux poutres, Pia et Séréwaré, l'Avant et le Maintenant, deux poutres waki mori, belles et bonnes, autour desquelles lors des fêtes, danse la communauté des Pémon, des Hommes.

Le mythe fondateur de Pata Pémonton, la Terre des Hommes : Pia-to daktay tukaré-ré Pémon-pé épuétipué : En ce Temps-Là, toutes les choses du Monde étaient comme des Hommes est ainsi refiguré, rendu présent. La Maison commune c'est Waïpa-Touckouchi-pan, l'image du Monde des Pémon! Et Téritéri-pan, ronde elle est! Car Téritéri-pan, rond est son sol! Téritéri-pan, rond est son Ciel. Son Ciel, son Toit qui s'appuie sur deux beaux et bons arbres afin de rappeler les deux poutres de la grande Waïpa du Monde. Les deux poutres, Pia Daktay et Séréwaré, les deux Jambes du Temps…

Les Pémon ne racontent pas d'où ils viennent, ni de qui ils descendent, ni comment ils commencèrent à devenir pémon, c'est-à-dire « hommes », ni même s'il y avait ou pas quelque chose avant eux, ils ne parlent que d'un Temps Premier, lui-même Commencement, défini comme une “époque” où tout le monde était Pémon-pé, comme-les-Hommes. A tel point qu'hommes, animaux et choses, pouvaient parler ensemble, et “donc” avoir des petits ensemble. Ce que nous appelons l'« humanité » était alors un attribut de tout habitant de Pia Daktay, du Temps Premier, sur Pata Pémonton, sur la Terre des Hommes.

(…) Tauron Panton Pia-Daktay, le Conte dit qu'en Ce Temps-Là, avant que le Monde ne perde pas ses couleurs dans la boue de Pia-Konok, la Grande-Pluie, les Hommes parlaient avec les Choses, les Choses parlaient avec les Hommes et ils pouvaient avoir des petits ensemble. Wana-le-Brin-d'herbe avait souvent un enfant avec Katourou-le-Nuage, le vent portait leur amour, Waïra-le-Tapir pouvait se marier avec Paranka-le-Cèdre-majestueux, la couleur portait leur amour, un Pémon pouvait avoir un petit avec Wadamori-la-Tortue, la terre les portait tous deux l'un vers l'autre. Le Monde était avec Aouka-la-Joie, la Joie-des-Choses, parce que les Choses et les Hommes pouvaient parler ensemble… Tauron Panton, ainsi dit le Conte. Pia-Daktay, le Temps-Premier est donc un temps qui n'est plus complètement là, mais qui revient si l'homme, seul à garder aujourd'hui “l'humanité”, revit ce temps rituellement Sérewaré. Car Pia veut dire « racine », autorité… La racine est présente dans le tronc, les feuilles et les fleurs de l'arbre ou de la plante… Séréwaré, Maintenant est donc le temps du monde dans lequel le Pémon vit aujourd'hui sa finitude, son angoisse, sa peur ; le temps où il constate sa faiblesse et où il n'est plus maître de sa chair éprouvant la maladie et la mort.

(…) Tu feras bien attention à Parou-la-Rivière, elle est dangereuse. Tu marcheras en regardant bien par terre, Okoyima-le-Serpent, de l'autre côté du fleuve, ne te connaîtra pas. Tu regarderas bien les branches basses, Parak-la-Guêpe de là-bas peut avoir envie de savoir le goût de ta peau. Et si Konok-la-Pluie arrive, tu feras attention à Waranapi-l'Eclair et aux arbres morts qui tombent et tuent l'homme insouciant. Et quand tu arriveras là-bas, fais attention à tes paroles car tu ne seras pas entouré de frères… Comme d'ailleurs ils y constatent leur faiblesse. [Je traduis l'aspect physique de l'homme par « corps » faute de mieux.

l'anthropologie pémon présente l'homme comme un être composé. Ils parlent de ésak (la matière périssable), éwan (le ventre, centre de l'affectif), ékaton (le souffle vital qui ne périt pas), mouéni (le sang, la vie). Les peuples à mentalité symbolique ont des visions similaires. Dans la Bible par exemple, nous trouvons : nephèsh (intériorité, le moi) bâsar (extériorité, la chair), ruah (souffle vie), lèb (désir)] Esak-le-Corps, n'aime pas attendre. Quand Esak Koneka, quand le Corps veut manger, veut boire, veut dormir, c'est lui qui commande, et alors Pémon-l'Homme obéit. (…)

Et pourtant il n'en a pas toujours été ainsi (…) Tauron Panton Pia Daktay, le Conte dit qu'en ce Temps-là, lorsque le Monde était tout neuf, les Pémon, les Hommes pouvaient changer de corps avec les Choses du Monde. Waïkin-le-Chevreuil pouvait devenir Yek-l'Arbre, Wéri-la-Femme s'habillait parfois de Mérou-la-Cascade ou de Tépouy-la-Montagne. Pémon-l'Homme devenait Kaïkousé-le-Jaguar ou Iroma-le-Vent et même Wakaou-le-Papillon ! (…). Si tout le monde pouvait changer de corps, c'était que Esak n'était pas devenu le chef, il obéissait à Ewan-le-Cœur, il respectait le désir que chaque chose porte en elle, c'était Aouka Daktay, le Temps de la Joie-des-Choses.

Séréware est aussi le temps présent de la religion, de la Tradition, véhiculée par Panton-le-Conte, Taren-le-Psaume, Wenkarounnétok-le-Jeu, Manounnétok-la-Danse, Wanoktok-la-Fête, Koumi-le-Talisman, Wénéti-le-Rêve, Séwaranté-le-Cadeau. Ces médiations symboliques permettent au Pémon, c'est-à-dire à l'Homme, de retrouver l'humanité plénière de Ce Temps-Là. Les Pémon diront alors : « To n-époripué po rékin ina akowama puek man. To padanisan-da tin-étapue-kon (tin-érémapué-kon néké) ékamapué ; to puékéré to padanisan-da étapué néré séré téposé ré : Ce qu'ils (les ancêtres) ont découvert, c'est là où nous habitons. Ce que leurs enfants ont entendu, ils l'ont transmis ; et après eux, leurs petits enfants qui ont entendu la même chose, jusqu'à maintenant » .

c'est là, dans leur vivante tradition mythologique d'un Temps-Racine, sacralisé par le récit fondateur, qu'il faut chercher la transcendance transcendante, Ce-qui-nous-dépasse tous. c'est aussi là où l'on trouvera exprimée leur paradoxale condition humaine de fini et infini, de tristesse et de joie. Car dans la perte de pémonité, d'humanité donc, survenue après Pia-Konok, après la Grande Pluie, il nous semble sérieusement pouvoir déceler la présence d'une perte originaire, perte de la communicativité du Waki Mori, du Beau et du Bien, propres à l'Homme, mais propriété aussi de tout et du Tout dans lequel l'homme vit, le Monde et les Choses du Monde . c'était avant que les Makounaïmas ne descendent sur la Terre pour se moquer d'Aouka-la-Beauté-des-Choses, avant Pia-Konok, la Grande Pluie . Aouka-la-Joie-des-Choses et Ménou-la-Couleur-des-Choses ont alors quitté le Monde. Il fallut beaucoup de temps pour qu'elles reviennent. Mais même après le retour d'Aouka et de Ménou, plus rien ne parla pémon avec les Pémon. Il fallait être Homme pour pouvoir parler ensemble . Konok Pia, la Grande Pluie, réalise une coupure entre l'Avant et le Maintenant.

QUELQUE CHOSE ARRIVA qui coupa en deux le Temps. Les ancêtres qui habitaient le Temps Premier ont découvert un Monde et l'ont transmis par les récits. Ce Monde-Temps, Pia Daktay, fut perdu après Konok Pia, la Grande Pluie. Un déluge correspondant au mythe universel, et après lequel durant beaucoup de temps, le Monde perdit ses peintures, ses couleurs.

La formule Pia-to daktay tukaré-ré Pémon-pé épuétipué : en ce Temps-Là, toutes les choses du Monde étaient comme des Hommes exprime une réalité ontologique pour les Pémons. La “communicativité” du Temps “radical”, le Temps Pia-Racine, est essentielle à l'homme au point qu'aujourd'hui, séréwaré-maintenant, que c'est cette capacité de parler qui le distingue des animaux et des choses. Ce temps est rappelé lors des rites pémons et de cette manière, le mythe présent et interprété rituellement, joue son rôle d'« exploration ontologique » . c'est-à-dire qu'il exprime quelque chose de la manière d'être de l'homme. Célébrer cette "communicativité" première dans et par le langage, c'est célébrer la capacité de parler devenue le privilège de l'homme. Si l'homme n'est homme qu'en étant pure sortie de soi, ouvert au monde propre, commun et ambiant selon ce que Heidegger appelle la « transcendance » transcendantale , c'est bien lui qui doit chercher la communion avec les autres mondains. c'est lui qui peut communiquer avec la pierre, le fleuve, l'arbre, la montagne, le sanglier, le chevreuil, le tigre, le crapaud et la tortue, aujourd'hui… Heidegger réfléchissant sur la question du langage l'exprime philosophiquement : « On dit que l'homme possède la parole par nature. l'enseignement traditionnel veut que l'homme soit, à la différence de la plante et de la bête, le vivant capable de parole. Cette affirmation ne signifie pas seulement qu'à côté d'autres facultés, l'homme possède aussi celle de parler. Elle veut dire que c'est bien la parole qui rend l'homme capable d'être le vivant qu'il est en tant qu'homme. l'homme est homme en tant qu'il est celui qui parle » .

Parole et humanité s'entre-appartiennent. Les Pémons l'ont bien compris. « l'exploration » de l'être humain accomplie par le mythe Pia Daktay montre son ouverture à Ce-qui-nous-dépasse. Et la formule Pia-to daktay tukaré-ré Pémon-pé épuétipué : en ce Temps-Là, toutes les choses du Monde étaient comme des Hommes, joue chez les Pémon, en plus de cette indication ontologique, un rôle efficace et actuel lors des actions rituelles qui sont en ce sens des médiations de la transcendance. Ces médiations sont Panton ou Ékaré-le-Conte, le récit, Taren-la-Prière, Wenkarounnétok-le-Jeu, Manounnétok-la-Danse, Wanoktok-la-Fête, Koumi-le-Talisman, Wénéti-le-Rêve, Séwaranté-le-Cadeau.

Contes

Jouets de la Forêt
Késéra-le-Manioc
L'histoire du Roroïma
Pata Pemonton
La religion des Pémon
L'arrivée des oiseaux
Le chemin du coeur
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